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Le prêtre, ce mal aimé

On ne comprend pas que des fautes graves de la traduction actuelle aient pu être acceptées par les évêques de l’époque, quand ces fautes concernent le sacerdoce. On ne comprendrait pas davantage qu’aujourd’hui des évêques veillent maintenir ces traductions fautives, alors que la crise des vocations n’a jamais été aussi forte.

Le principal texte où le sacerdoce a été malmené par le traducteur est le petit dialogue entre le prêtre et les fidèles, qui se situe à la fin de l’offertoire, avant l’oraison super oblata. Ce passage figurait dans le missel de 1962 et a été repris dans celui de 1969 à la demande expresse du Bienheureux Paul VI : c’est dire si sa déformation va contre le sensus Ecclesiae. On comprend donc que ce soit justement cet exemple qui a été choisi par les Cardinaux Arinze et Sarah lorsqu’ils ont critiqué les traductions liturgiques en français. Voici ce texte en latin :

- Orate fratres, ut meum ac vestrum sacrificium acceptabile fiat apud Deum Patrem omnipotentem.

- Suscipiat Dominus sacrificium de manibus tuis, ad laudem et gloriam nominis sui, ad utilitatem quoque nostram, totiusque Ecclesiae suae sanctae.

Une traduction correcte de ce passage, telle qu’on pouvait la trouver dans les missels bilingues d’avant le concile Vatican II, donne ceci :

- Priez, mes frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, devienne acceptable auprès de Dieu le Père tout-puissant.

- Que le Seigneur reçoive de vos mains ce sacrifice, à la louange et à la gloire de son nom, pour notre bien aussi, et celui de toute sa sainte Eglise.

Or que dit le texte officiel en français ?

- Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise.

- Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Examinons en détail les fautes de cette version.

« Prions ensemble », au lieu de « Priez mes frères » : la prière sacerdotale et la prière des fidèles sont confondues.

« Le sacrifice de toute l’Eglise » : on gomme la belle expression « mon sacrifice qui est aussi le vôtre ». Cette phrase fait penser à celle de Jésus quand Il dit : « Mon Père et votre Père ». Dieu le Père est le Père de Jésus d’une façon, par nature ; Il est notre Père d’une autre façon, par adoption. De même le saint sacrifice de la messe est celui du prêtre d’une façon, c’est lui qui agit en la personne du Christ, et il est celui des fidèles d’une autre façon, car s’ils peuvent l’offrir c’est seulement parce que le prêtre le fait. Autrement dit cette très mauvaise traduction gomme ce qu’il y a de particulier dans le rôle du prêtre à la messe, qui est pourtant la source et le sommet de son apostolat. Il serait de mauvaise foi de nous accuser d’ignorer que les fidèles eux aussi offrent le sacrifice, puisque justement nous défendons un texte où leur rôle est affirmé, mais dans sa différence avec le rôle du prêtre.

« Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » : cette phrase supprime la causalité particulière du prêtre par rapport au sacrifice, bien exprimée dans le texte latin par l’expression signifiant « de vos mains » ; le thème biblique du nom de Dieu est effacé, et au lieu de la précision des termes indiquant que le sacrifice est offert pour ceux qui sont présents à la messe et pour toute l’Eglise, on a la généralité du « salut du monde ».

 

Mais l’Orate Fratres n’est pas le seul endroit du missel où le rôle du prêtre est malmené. Il y a aussi un passage de la seconde prière eucharistique, après la consécration. En voici le texte latin.

Tibi, Domine, panem vitae et calicem salutis offerimus, gratias agentes, quia nos dignos habuisti astare coram te et tibi ministrare.

Une traduction littérale donnerait :

« Nous t’offrons, Seigneur, le pain de vie et la coupe du salut, en te rendant grâce, car tu nous as tenus pour dignes de nous tenir en ta présence et de te servir. »

La traduction officielle française dit :

« Nous t’offrons, Seigneur, le pain de la vie et la coupe du salut, et nous te rendons grâce, car tu nous as choisis pour servir en ta présence. »

On voit que l’expression « tu nous as tenus pour dignes de nous tenir en ta présence » est supprimée. Pour comprendre l’importance de cette omission, il faut se replacer dans le contexte du deuxième siècle, où Saint Hippolyte l’a composée. Les chœurs où officiait le clergé n’étaient pas ouverts comme aujourd’hui, mais fermés, on a eu à certains moment de véritables murs séparant le presbyterium des fidèles. Le « nous » désigne donc là le clergé, tandis que la formule de la version officielle française, dans le contexte de la messe « face au peuple », laisse entendre que ce pronom désigne l’assemblée, sans distinction. C’est d’autant plus regrettable que Saint Hippolyte prévoyait cette prière eucharistique pour une ordination épiscopale, donc pour une occasion ou le clergé était particulièrement mis en valeur.

 

Et puis sans prétendre être exhaustifs, nous pouvons nous tourner vers la prière d’offertoire du seizième dimanche du temps per annum.

Voici ce que l’Eglise dit en latin.

Accipe sacrificium a devotis tibi famulis

C’est-à-dire :

« Reçois le sacrifice des serviteurs qui se sont voués à toi. »

Et le texte officiel en français affirme :

« Reçois cette offrande des mains de tes fidèles »

On voit que le mot qui signifie sacrifice a été réduit en offrande, qui est plus faible ; que la piété ou dévotion des fidèles n’est plus mentionnée ; et surtout qu’on emploie pour les fidèles une expression dont nous avons vu plus haut que le missel romain authentique la réserve aux prêtres : ce n’est pas « des mains des fidèles » que Dieu reçoit le sacrifice, mais bien des mains du prêtre.

 

Ces fautes lourdes contre le sacerdoce ont été commises dans l’immédiat après-concile. Pourtant selon Vatican II, il y a entre le sacerdoce commun et le sacerdoce ministériel « une différence essentielle et non seulement de degré […] : l’un et l’autre, en effet, chacun selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ. Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier ; les fidèles eux, de par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de l’Eucharistie et exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur renoncement et leur charité effective. » (Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, n° 10)

On doit espérer que les évêques, conscients que les prêtres sont leurs collaborateurs selon ce même concile, auront eu à cœur de ne pas permettre que de telles atteintes au sens du sacerdoce se retrouvent dans la future traduction. Pour une part, la crise des vocations sacerdotales s’enracine dans la mentalité qui a conduit le traducteur précédent à minorer le rôle du prêtre à la messe, source et sommet de toute évangélisation (cf. Presbyterorum Ordinis, n° 5).

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