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Une étude sur la traduction actuelle de l'ordo missae

Voici ce qu'écrivaient les Chevaliers de Notre-Dame au sujet de la traduction de l'ordo missae il y a plus de quarante ans. On remarquera la correspondance de ce jugement avec ce que l'Eglise dira plus tard dans Liturgiam Authenticam.

MILITIA SANCTAE MARIAE

Etude sur la traduction française
du
NOUVEL ORDO MISSAE

 

1. PRÉAMBULE.

Les rares privilégiés qui ont accès aux textes latins promulgués par le Saint-Siège, dans le cadre de la réforme liturgique, en reconnaissent généralement la richesse doctrinale et la beauté poétique. Malheureusement ce trésor est pratiquement hors de la portée des fidèles qui n'en reçoivent que des fragments souvent méconnaissables. C'est le problème des traductions en général, et de la traduction française en particulier.
Les auteurs de la présente étude n'ignorent pas la difficulté de toute traduction d'une langue dans une autre ; ils savent que traduire n'est pas aligner des mots décalqués sur les mots du texte original, mais rendre fidèlement une pensée et un style, dans le génie propre de la nouvelle langue. Ils reconnaissent volontiers que certains passages des traductions officielles sont bien venus, notamment dans le Canon Romain.
Pourtant, dans ce texte même et surtout dans les traductions postérieures, la traduction française semble obéir à des normes fort éloignées de celles qu'on pouvait attendre d'hommes d'Eglise compétents, nommés par l'Autorité hiérarchique. Disons tout de suite que, selon nous, le peuple chrétien a droit,

- QUANT AU FOND :
à la fidélité au texte original (cf 3e instruction pour l’application de la réforme liturgique) ;
traduction intégrale, sans omission, comme sans substitution ;
traduction exacte, exprimant la même idée et autant que possible la même image que le texte original, surtout quand il s'agit d'images bibliques ;

- QUANT A LA FORME :
à un langage clair et intelligible ;
à un style sobre, mais exprimant par sa noblesse le souverain respect qui est dû à Dieu, à Sa Parole, à ses sacrements et à son peuple ;
à un style qui sache, à l'occasion, être poétique et même lyrique, quand le genre littéraire l'exige (par exemple les Préfaces) ;
toutes qualités dans lesquelles notre langue française excelle non moins que la langue latine, quoique selon son génie propre.

Qu'en est-il en fait dans les traductions officielles ?

Cette étude, entreprise à la demande du Maître et du XVème Chapitre Général de la Militia Sanctae Mariae, par une commission de prêtres et de laïcs, théologiens, liturgistes, biblistes et latinistes, s'est limitée à l'examen de la traduction française de l'Ordo Missae, mais d'autres études corrélatives déjà entreprises par cette Commission confirment que le retour constant de certaines traductions édulcorantes du texte latin, langue officielle de l'Eglise Catholique Romaine, porte atteinte à la doctrine et coupe les ailes à tout élan spirituel de la communauté des fidèles. Le peuple de Dieu mérite d'être traité avec plus d'égards et de confiance.
Seront examinées les traductions des thèmes essentiels de notre dogme (Dieu et la Trinité - le Pater et le Sanctus - Marie - les Anges - le sacerdoce - l'Espérance - le péché - le salut et la damnation). Enfin la commission, après avoir donné des exemples de dégradation religieuse déjà perceptible chez les fidèles, proposera une solution à ces problèmes.

I - Dieu Transcendant.
Créateur de l'univers, il est nécessairement transcendant, ne tirant son être de personne, que de lui-même. Il se révèle à Moïse (buisson ardent) et lui dit son nom YAHWEH « Je suis celui qui suis » (Ex. 3, 14). La Bible du Rabbinat dit « Je suis l'être invariable »...
Dans le Missale Romanum, un terme exprime bien cette transcendance divine : Majestas (Majesté) évoque le Souverain, maître absolu de son Royaume. Or, le mot est quasi-totalement éliminé du texte français. Il n'y est employé qu'une seule fois (canon romain, dans la prière qui suit « Unde et memores »); dans trois Préfaces, il est remplacé par « grandeur », (4e Préface du Carême, 1e Préface de la Sainte Vierge, 3e Préface des dimanches ordinaires) - Partout ailleurs, il est supprimé purement et simplement.
Malgré l'incommensurable disproportion entre Dieu et sa créature. ce Dieu si grand condescend à s'intéresser à chacun de nous, Il daigne venir jusqu'à nous. Le verbe « daigner » se rencontre fréquemment dans le Missale Romanum. Dans le texte français, quand il n'est pas éliminé, il est remplacé par « vouloir ». Ce terme est beaucoup plus faible, puisque disparaît alors l'importante nuance de condescendance qui se trouve dans « daigner ». (Ex. : il est remplacé dans la 2e préface des dimanches ordinaires : le sobre et magnifique « de Virgine nasci dignatus est » est platement rendu par « Il a voulu naître d'une femme, la Vierge Marie »; il est supprimé dans l'épiclèse précédant immédiatement la consécration au 4e Canon ; dans le Memores qui la suit immédiatement dans 2e Canon le mot digne n'est pas traduit : « ... et nous te rendons grâce car tu nous as choisis pour servir en ta présence » (au lieu de : « ... nous te rendons grâce, toi qui nous as rendus dignes de nous tenir devant toi pour te servir »).
Enfin, Dieu seul est digne d'être servi par l'homme, et c'est en servant Dieu seul que l'homme mérite de régner sur la création. Est-ce une douteuse théologie de « l'Eglise au service du monde » qui a incité les traducteurs à omettre ce mot « seul » au début de l'Anaphore IV ? Si oui, ils ne se doutent pas qu'ils ruinent du même coup la dignité de l'homme : « Cui (Deo) servire regnare est ». C'est en effet la noblesse de la personne humaine que de n'être soumise qu'à Dieu, et à d'autres hommes seulement en référence à Dieu.
De son côté, l'homme est conscient de sa petitesse face à son Créateur. Cependant, au lieu de rendre « famulus », « servus » et « servire » par « serviteur », « esclave » et « servir » le texte français donne respectivement : « enfant », « fidèle » et « célébrer ». Pour rendre « audeo » (oser) qui souligne le sentiment de la transcendance divine ressenti par sa créature, le français ne donne que cette expression édulcorante « attendre », ou « pouvoir déjà », ou pire, gomme le « audemus » du latin (sauf dans l'introduction du Pater).

II - Pater Noster.
La prière du Seigneur a fait l'objet d'une étude extrêmement approfondie de l'abbé Jean CARMIGNAC dont il faudrait tenir compte. Relevons seulement : « donne nous aujourd'hui notre pain de ce jour » ne rend pas le difficile épiousios - « jusqu'à demain » serait plus satisfaisant. - « comme nous pardonnons aussi à ceux qui... » semble indiquer que nous pardonnons d'abord à ceux qui ne nous offensent pas !... La particule aussi, qui existe dans le grec (et dans l'hébreu) sous-jacent ne peut se rattacher qu'au sujet : « comme nous aussi, nous pardonnons... »
Plus grave est « ne nous soumets pas à la tentation », qui semblerait indiquer que Dieu, quoique infiniment bon, pourrait nous inciter à faire mal, ce qui est à la fois absurde et blasphématoire. J. CARMIGNAC propose (si l'on tient à tout prix à changer la formulation habituelle « ne nous laisse pas succomber à la tentation ») : « fais que nous n'entrions pas en tentation ».
Voici la traduction très nette et rigoureuse du « Pater noster » par M. l'abbé Jean CARMIGNAC :
« Notre Père des Cieux, que, sur la Terre comme au ciel, Ton Nom soit glorifié, Ton Règne arrive, Ta Volonté soit faite. Donne-nous aujourd'hui notre pain jusqu'à demain. Acquitte-nous de nos dettes comme, nous aussi, nous avons acquitté nos débiteurs. Garde-nous de consentir à la tentation, mais écarte-nous du démon. »

III - Sanctus.
Le « Trisagion » qui reprend et amplifie l'acclamation des Séraphins de la grande vision d'Isaïe (Is. 6, 3), comporte un Nom divin qui remonte aux origines du sanctuaire de l'Arche : Yahweh Tsebaôth, littéralement : Yahweh des Armées (célestes). On trouve ailleurs dans la Bible, plus tardivement, une expression plus développée : Yahweh Elohey Tsebaôth, « Yahweh, Dieu des Armées » qui semble être une glose explicative. Le titre est suffisamment mystérieux et sacré pour avoir été conservé dans la langue originale par la traduction grecque des Septante : alors que le Tétragramme divin est rendu par Kyrios, traduction de Adônay (qui remplaçait le nom ineffable Yahweh dans la lecture publique), Tsebaôth est simplement transcrit Sabaôth. La vulgate de Saint Jérôme préfère l'expression glosée, et traduit : Dominus Deus exercituum, « Seigneur, Dieu des Armées ». La liturgie latine a opté pour « Dominus Deus Sabaoth », avant comme après la réforme liturgique.
Le chant du Sanctus conserve également dans la langue originale l'acclamation Hosanna. Une traduction française fidèle aurait donc le choix entre deux solutions . ou garder le Sabaôth, « Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu Sabaôth » ou bien le traduire en glosant un peu, « Le Seigneur Dieu des Armées Célestes », ou « des Milices Célestes » ou « des Ordres Angéliques ». La première solution - garder Sabaôth - a notre préférence comme étant la plus traditionnelle et la plus respectueuse du mystère divin. - La traduction officielle a tourné la difficulté en introduisant une idée étrangère au texte original, en disant autre chose : « Le Seigneur Dieu de l'Univers ». Par là elle s'éloigne de la référence à Isaïe et au fondement Vétéro-testamentaire du Trisagion. Elle n'est pas acceptable.

IV - Dieu Fils.
Dans le Credo, la traduction française « de même nature que le Père » trahit le « consubstantialem Patri »; Etienne Gilson et bien d'autres, lui trouvent un relent d'arianisme. Si le Père et le Fils n'ont en commun que la nature (abstraite) ils peuvent être deux dieux, pas forcément un seul et même Dieu. « L'objet du symbole n'est pas de faire comprendre le mystère, mais de le définir. On ne le définit pas en disant que le Fils est de même nature que le Père, car ceci est vrai de tous les fils » (Gilson). Pour éviter cette hérésie par omission, il convient de maintenir « consubstantiel au Père » qui précise bien que le Fils est de la substance même du Père.
Dans sa profession de foi du 30 Juin 1968, Paul VI déclare nettement : « Nous croyons en Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est le Fils de Dieu. Il est le Verbe éternel, né du Père avant tous les siècles et consubstantiel au Père, homoousios Patri,... ». Qu'il s'agisse d'un terme technique de la théologie n'est pas une raison pour l'écarter d'une traduction destinée au peuple chrétien ; il suffit qu'il soit convenablement expliqué par une catéchèse appropriée.

V - La Messe Sacrifice.
Le Concile de Trente, dans sa 22e session, a longuement traité du Sacrifice de la Messe et a même défini la doctrine de l'Eglise sur certains points. Certains aujourd'hui affectent de ne pas parler de Messe, mais d'Eucharistie. Or, le sacrement d'Eucharistie ne saurait exister s'il n'y avait auparavant un sacrifice eucharistique que l'on appelle la MESSE.
Le catéchisme nous apprend que le sacrifice de la Messe a une quadruple fin : latreutique (d'adoration), eucharistique (d'action de grâce), propitiatoire (de demande de pardon) et impétratoire (de demande de grâces). Affecter de ne parler que d'Eucharistie revient à mettre l'accent uniquement - et donc indûment - sur l'une de ces quatre fins. Ce ton en est donné dès le début du texte français de l'ordinaire de la Messe où il est dit : « Préparons-nous à la célébration de l'Eucharistie en reconnaissant que nous sommes pécheurs », alors que le texte latin dit : « Frères, reconnaissons nos péchés, afin que nous soyons aptes à célébrer les saints Mystères ». Une bonne traduction conservera le terme concret : les péchés, ainsi que l'expression traditionnelle « les saints Mystères » qui rend parfaitement le caractère sacré de la Messe.
A l'offertoire : la prière que dit le célébrant en versant dans le calice quelques gouttes d'eau exprime deux choses importantes : le mélange du vin et de l'eau est un symbole (mysterium) et ce symbole évoque à la fois l'incarnation du Fils de Dieu « qui a daigné prendre part à notre humanité », et notre propre élévation (par la grâce) au partage de la nature divine (« divinae consortes naturae », II Pierre 1, 4). En trois lignes, tout le mystère chrétien est résumé ! Traduction officielle : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l'Alliance (idée étrangère au texte), puissions-nous être unis à la divinité (unis est vague et ne rend que très faiblement et platement l'expression si forte de la seconde épître de S. Pierre) de Celui qui a pris notre humanité (on omet une fois de plus l'expression de la condescendance divine, « dignatus est » ; et « fieri particeps », « devenir participant de notre humanité » devient « prendre notre humanité »). Ainsi se trouve évacué le balancement de la double participation : du Fils de Dieu à notre humanité, par pure condescendance, et de notre humanité à la divinité, par pure grâce.
La formule d'offrande pour le pain et le vin n'est pas mieux traitée. On omet sans raison le titre de Seigneur avant Dieu de l'univers ; on omet de souligner, comme le fait le latin, la largesse de Dieu qui nous donne le pain ; on omet le nobis, « pour nous », « à notre profit ». Quant au « breuvage spirituel », il devient bizarrement le « vin du Royaume éternel ».
A la fin de l'offertoire, « Orate fratres... » est rendu par « Prions ensemble, au moment d'offrir le sacrifice de toute l'Eglise », ce qui est bien faible, comparé à ce que dit vraiment le texte latin : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre, puisse être agréé par Dieu, le Père tout-puissant ». Et voici plus grave : la réponse des fidèles en français « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » est tout autre que le texte officiel latin : « Que le Seigneur reçoive de vos mains le sacrifice, à la louange et à la gloire de son nom, ainsi que pour notre bien et celui de toute sa sainte Eglise ». L'affadissement des textes français est flagrant, et parfaitement injustifiable.
Le texte français, omettant de traduire effectivement le Missale Romanum, tend à faire oublier par les fidèles la caractéristique essentielle de la Messe : sa relation au sacrifice de la Croix.

VI - Le Sacerdoce
Le sacrifice eucharistique ne peut être célébré que par un chrétien ayant reçu l'ordination sacerdotale. Dans la Constitution « Lumen Gentium » sur l'Eglise, le Concile Vatican II a bien précisé la différence existant entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce commun de tous ,les baptisés : « Le sacerdoce commun des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu'il y ait entre eux différence essentielle et non seulement de degré, sont cependant ordonnés l'un à l'autre » (no 10). L'instruction « Eucharisticum Mysterium », de la Sacrée Congrégation pour le Culte Divin (25 mai 1967) le rappelle (art. 11) dans les mêmes termes (« le sacerdoce ministériel diffère en essence et non en degré du sacerdoce des fidèles »).
Alors que le Missale Romanum maintient clairement cette distinction, notamment dans l'Orate Fratres (« Priez, mes Frères, pour que mon sacrifice, qui est aussi le vôtre... ») et dans la réponse des fidèles, le texte français du « Missel Romain » l'efface complètement (« Prions ensemble... »). Ceci n'est pas une traduction, ni même une paraphrase, c'est tout autre chose ; ce texte français peut amener les fidèles à penser que le prêtre n'est plus qu'un délégué de l'assemblée, président de la Sainte Cène, à la manière d'un pasteur protestant.
Cette interprétation rejoint d'ailleurs curieusement une campagne orchestrée des « Etudes » (n° d’avril 1972) et de Mgr d’Orléans (oct 1972 – 11 nov. 1972) selon laquelle - en bref - « puisque les vocations sacerdotales sont taries, les communautés locales de fidèles pourraient désigner un des leurs pour présider l'assemblée, partager l'Eucharistie et confesser ; cette désignation aurait une durée limitée ». Cette manière de voir erronée va contre le Concile de Trente qui a défini (session XXIII, canon 4) : « Si quelqu'un dit que le Saint Esprit n'est pas donné avec la Sainte Ordination et par conséquent que les Evèques disent en vain « Reçois le Saint-Esprit », ou que par cette ordination un caractère n'est pas imprimé ... qu'il soit anathème ». Le caractère sacerdotal est de soi ineffaçable ; il ne saurait y avoir de sacerdoce temporaire.

VI - La Très Sainte-Vierge.
Le Concile d'Éphèse (431) définit, contre Nestorius, qu'elle est, en toute vérité, la Mère de Dieu, « Théotokos ». Le Christ mourant lui a confié l'Eglise en la personne de saint Jean (Jo, 19, 26). On se souvient qu'à l'issue de la 3e session du concile, Paul VI l'a proclamée solennellement Mère de l'Eglise.
La traduction française semble minimiser le rôle de Marie. Dans le Confiteor en français, il est dit « ... C'est pourquoi je supplie la Vierge Marie... ». Or, le latin dit : « C'est pourquoi je supplie la bienheureuse (beatam) Marie toujours Vierge ». Car d'aucuns maintenant, comme du temps de St Pie V - et même avant - admettent que Marie « avait été » Vierge, mais ne le serait plus. Certains prêtres osent déclarer que la virginité perpétuelle de Marie est une impossibilité physique et un mythe. Ce rationalisme n'a pas droit de cité dans la liturgie.
Tout au long de l'Ordo Missae, la traduction française omet le plus souvent ces termes : bienheureuse et toujours (Vierge). Cela semble effectivement émaner d'une volonté de désacraliser la Sainte Mère de Dieu.
La seconde Préface de l'Avent comporte ce membre de phrase : « Quem... Virgo Mater ineffabili dilectione sustinuit... » Traduction officielle « Celui que... la Vierge attendait avec amour ». Pourquoi tronquer un titre de Marie, consacré par la tradition et qui exprime si bien, dans l'apparente contradiction des termes, le mystère de l'enfantement virginal : la Vierge-Mère ? Et pourquoi supprimer l'adjectif plein de poésie et de mystère qui qualifie l'amour absolument unique qu'une telle Mère portait à un tel Fils ? Quel parti-pris d'affadissement et de rationalisation inspire les traducteurs, qui les empêche d'écrire : « Celui que ... la Vierge Mère attendait avec un ineffable amour » ou « une ineffable dilection » ?

VIII - Les Anges.
Dans les Préfaces où il est fait mention des Chœurs Angéliques (Trônes, Dominations, Puissances, Vertus, Séraphins...), la traduction officielle se contente de termes généraux : « Puissances d'En-Haut, Esprits bienheureux, innombrables créatures des cieux... ». Bien qu'il s'agisse de réalité mystérieuse, rappelons que ces noms sont tous dans l'Ecriture et depuis toujours dans la liturgie - on souhaite les y voir maintenus.

IX - Espérance.
Peut-être, dans la meilleure hypothèse, par suite d'une maladresse littéraire, la traduction française de l'embolisme qui suit le Pater fait penser à l'antique millénarisme ( « en cette vie où nous attendons le bonheur que tu promets »). Elle incite les fidèles à croire que notre espérance ne dépasse pas un bonheur purement terrestre « en cette vie » et ne vise pas le bonheur éternel qui nous immergera en Dieu. Une traduction plus intégrale et fidèle du texte latin donne : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps. Qu'avec l'aide de ta miséricorde, nous soyons libérés du péché, préservés de toute sorte de trouble, tandis que nous attendons l'objet de notre espérance bienheureuse et l'avènement de Jésus-Christ notre Sauveur » ; (Il n'y est pas question de « en cette vie »).

X - Péché
L'un des plus beaux attributs de Dieu est la miséricorde, la clémence, la bienveillance. Le divin Maître nous demande d'être miséricordieux comme l'est notre Père qui est dans les Cieux. Or, les mots « misericordia, misericors, clementia, clemens, benignus, propitius », très fréquents dans le Missale Romanum, se sont raréfiés dans le texte français. Ils sont remplacés le plus souvent par « bonté », « tendresse », « amour », « affection », dont la signification s'éloigne sensiblement de celle des mots latins ; et parfois, ces mots latins ne sont pas rendus du tout. Pour sentir l'édulcoration produite par le remplacement, il nous suffit de considérer qu'un père exerce sa bonté, sa tendresse, son amour envers tous ses enfants, alors qu'il exerce sa miséricorde et sa clémence, effets de sa bonté, envers ceux de ses enfants qui l'auraient offensé.
Déjà, le cardinal Suhard dénonçait la perte du sens du péché. Et l’épiscopat italien, dans un document pastoral (11 mars 1972) cité par la Documentation Catholique du 19-9-72, écrit : « Aujourd'hui on tend à perdre le sens du péché, la catéchèse elle-même est parfois peu claire et peu explicite devant la réalité du péché ».
Citons par exemple :
- Au Confiteor, le français supprime « nimis » et dit : « j'ai péché » au lieu de « j'ai beaucoup péché » ; puis, par « oui, j'ai vraiment péché », il prétend rendre le très net « c'est ma faute, c'est ma faute, c'est ma très grande faute » du latin ;
- Dans la prière qui suit l'oblation du calice, « humbles et pauvres » est sensé devoir rendre le latin : « En esprit d'humilité et avec une âme brisée... » ;
- Au « Domine, non sum dignus », le français dit « ...et je serai guéri » au lieu de « et mon âme sera guérie », ce qui ne souligne pas suffisamment que c'est notre âme qui a besoin de guérison parce que nous avons péché. Or, Jésus est venu d'abord guérir l'âme humaine du péché originel et des autres péchés. L'Evangile rapporte (Mat. IX, Mc II, Lc V) la scène du paralysé : « Va, tes péchés te sont remis ». Ce n'est que pour donner un signe plus immédiatement visible aux humains qu'il dit « Lève toi et marche », et réalise le miracle ;
- Dans l'Agnus Dei, le latin emploie le pluriel « peccata mundi », les péchés du monde. La traduction française dit « le péché du monde » citant ainsi littéralement Jn 1, 29. Mais ce n'est pas sans raison que la liturgie a adopté le pluriel ; ici et maintenant, à la Messe, il s'agit de nos péchés concrets ;
- Au début de la Messe, le français dit « en reconnaissant que nous sommes pécheurs » au lieu du latin : « reconnaissons nos péchés ». Le texte français ne tend-il pas, là aussi, à l'indifférentisme : n'est-il pas plus facile de reconnaître une abstraction (notre condition de pécheur) que tel ou tel péché qui m'est imputable à moi ?
Les traducteurs français du Missale Romanum semblent également répugner à la notion d'obéissance et de Loi. Dans le 4e Canon, le latin « et cum amicitiam tuam, non oboediens, amisisset » est rendu par « comme il avait perdu ton amitié en se détournant de toi », alors que l'on attendait : « comme il avait dédaigné ton amitié par sa désobéissance ».
On voit combien notre Pape Paul VI a raison de se plaindre (audience générale du 8 mars 1972) : « Aujourd'hui, on évite de parler du péché. La mentalité de notre temps répugne non seulement à voir le péché tel qu'il est, mais même à en parler. Ce mot semble périmé, presque inconvenant, de mauvais goût ». Or, les chrétiens de tous les temps ont horreur du péché ; c'est pourquoi ils doivent s'en détourner aussi bien, et si possible mieux, aujourd'hui qu'hier. Mais ils ne peuvent le faire qu'en sachant ce dont ils parlent et en demandant à Dieu de les en guérir.

XI - Salut et Damnation
L'enfer est une conséquence inéluctable du péché mortel non absous. Voyons quelques-uns des passages français qui édulcorent ce dogme catholique. A la 2e prière eucharistique, le Memento des défunts dit en français « ... de tous les hommes qui ont quitté cette vie ; reçois-les dans ta lumière... » à la place du texte latin « omniumque in tua miseratione defunctorum » ( « qui ont quitté cette vie en étant dans ta miséricorde »). Les fidèles qui ne connaissent que le texte français sont amenés à penser que tous les hommes sans exception entreront dans la lumière éternelle, donc qu'il n'y a pas d'enfer.
Dans l'anaphore III, après l'anamnèse, on lit : « Ipse nos tibi perficiat munus aeternum, ut cum electis tuis hereditatem consequi valeamus... » La traduction officielle supprime la référence aux élus : « Que l'Esprit Saint fasse de nous une éternelle offrande à ta gloire, pour que nous obtenions un jour les biens du monde à venir... » Cette notion d'élus, qui est au coeur de la révélation biblique, « ne passerait-elle plus la rampe », comme ils disent ? Et par la même occasion, l'héritage, concept non moins biblique, est gommé au profit des « biens du monde à venir ».
Dans l'anaphore IV, en revanche, l'« héritage » est maintenu, mais le sens de valeamus est ignoré. La traduction française en général donne l'impression que le salut est chose acquise pour tous les hommes sans exception. C'est une option. Mais est-elle chrétienne ?

CONCLUSION
Une enquête récente, menée par la SOFRES et divulguée par « La Croix » et « Le Pèlerin » (en mars 1972) aurait permis de constater que 94% des Français se disent catholiques – que parmi les « pratiquants réguliers » 20% n’admettent pas la divinité du Christ (ce pourcentage s’élève à 36% de l’ensemble) – que 27% des « militants d’Action Catholique » ne voient en Jésus qu’un « grand homme ». On sait ce que vaut ce genre de sondages et les statistiques qui en découlent (La Croix elle-même est dubitative le 3 juin 1972). Cependant, même si ces pourcentages ne sont pas exacts, le fait subsiste.
Dans une telle ambiance, face à une telle débilité de foi de nombreux catholiques, même « pratiquants », même « militants d’Action Catholique », il est indispensable, plus que jamais, de ne pas atténuer, par de mauvaises traductions françaises du Missale Romanum de Paul VI, les affirmations nettes sur la divinité du Christ et sur les autres dogmes catholiques. Là, plus qu'ailleurs, s'applique le dicton italien « Traduttore, traditore ».
Il ne s'agit pas de faire aux auteurs de la traduction française un procès de tendances ; mais il est impossible de ne pas se poser des questions à propos des passages cités ici, et d'autres encore, et de l'ensemble des textes du Missel Romain et du Lectionnaire. La presque totalité des changements ou des omissions n'a pas de motif littéraire, mais révèle une mentalité qui, se voulant pastorale, en arrive à ne plus respecter le sens du mystère et la haute poésie de la liturgie chrétienne. Dans certains cas, elle attente à l'orthodoxie même de la foi catholique.
Des esprits aussi compétents que modérés, comme le Père de Lubac et M. André Feuillet, n'hésitent pas à écrire : « On s'est inspiré d'une conception trop pessimiste du sous-développement intellectuel et culturel de la majorité des fidèles. D'où une recherche exagérée de l'adaptation, utopie regrettable qui nuit à la catéchèse et à la prédication. On aurait pu prendre exemple sur les anciennes versions latines : ce n'est pas la parole de Dieu qu'elles s'efforçaient de rapprocher du peuple, c'est le peuple de Dieu qu'elles essayaient de hausser au niveau de la Parole de Dieu ».
- « Dans nos traductions les plus récentes, au contraire, combien d'aplatissements ! Combien d'édulcorations ! le texte a perdu de sa saveur, quand il n'a pas été altéré ». - « Nombre de fidèles se plaignent à l'heure actuelle, non seulement de l'inexactitude fréquente de certaines traductions, mais encore de leur médiocre qualité littéraire, de leur lourdeur, de la vulgarité du vocabulaire, de la dureté et du manque d'harmonie des phrases, des fautes de français... Ils sont légitimement choqués s'ils ont l'impression que le texte sacré a été manipulé et défiguré. Le respect de l'Ecriture ne devrait-il pas inciter les traducteurs à se montrer plus vigilants ? » (Henri de Lubac, compte rendu de « Christologie paulinienne et tradition biblique » de M. André Feuilllet, in La France Catholique, ler juin 1973).
On ne peut que souscrire à ce jugement éclairé, et demander avec insistance que la refonte des traductions soit confiée sans tarder à des exégètes, des liturgistes, des théologiens et des hommes de lettres compétents : il n'en manque pas en France ni dans les pays de langue française.

Juillet 1975

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